100 ans au service du patrimoine culturel afghan
Colloque le 17 juin 2022 de 9h30 à 18h30
Lieu : musée du Louvre - Auditorium Michel Laclotte


La Délégation archéologique française en Afghanistan
Créée en 1922, la Délégation Archéologique française en Afghanistan travaille à l'étude, la protection et la mise en valeur du riche patrimoine culturel afghan.
Aujourd'hui alors que le patrimoine afghan est dans une situation difficile, cette célébration a pour but de faire connaître ce qui a été fait mais aussi de mobiliser l'attention de tous pour protéger cet héritage culturel si fragile.

A 17h05, Grand auditorium du Louvre, présentation de “Youssouf et Zuleikha “, film d’animation réalisé par Patrick Pleutin et Nasir Hashimi, avec Kapila Motion Pictures, produit par Pascale Bastide, avec le soutien de l’Institut français d’Afghanistan et l’Ambassade des USA à Kaboul. Utilisant une forme traditionnelle, la narration, et les technologies modernes, (c.-à-d. le multimédia), cette production propose de raviver l’intérêt pour deux trésors historiques afghans : le poème du 15ème siècle “Youssouf et Zolaikha“, de Djâmi Mawlana (1414‑1492), poème mystique et symbolique, qui présente une vision soufie, et même platonique, mettant en valeur la beauté et l’amour comme un chemin initiatique.

Description sommaire des images

La série de courts films d’animation présentés aujourd’hui s’inspire de sept scènes peintes conservées aux Archives de Kaboul et représentant des épisodes de l’histoire de Youssouf et Zolaykha. Elles appartiennent à un groupe d’une soixantaine de peintures de petites dimensions (80 x 130 mm) actuellement montées sous passe partout. Le sujet de chacune des scènes est identifié par une légende portée sur le montage. Leur revers étant inaccessible, il est impossible de savoir si elles possèdent un texte ou non au revers, et si donc elles ont été extraites d’un manuscrit ou si elles ont été peintes à l’origine indépendamment d’un texte, pour constituer un cycle d’images destiné à prendre place dans un album.

Du Coran à la poésie.

L’histoire de “Youssouf et Zoleikha “ tire son inspiration de la 12ème sourate du Coran. Cette sourate évoque l’histoire du prophète Youssouf, non pas sous la forme d’un récit délivré par un narrateur extérieur, mais plutôt sous la forme d’une succession de dialogues entre les différents protagonistes. On y retrouve les contours de l’histoire biblique de Joseph, vendu par ses frères, devenu esclave en Égypte, jeté en prison à cause d’une femme qui cherche à le séduire, et finalement libéré grâce à ses connaissances en oniromancie (interprétation des rêves). Les commentaires de cette sourate, ainsi que des textes relatant de manière plus détaillée l’histoire du prophète Youssouf, ont apporté des éléments complémentaires ou additionnels, à partir desquels les poètes ont composé de longs romans en vers. C’est aussi dans ces textes qu’ils ont puisé le nom de Zoleikha, qui n’est pas donné dans le Coran. Sous la plume des poètes, Zoleikha devient un personnage de premier plan et l’amour contrarié qu’elle éprouve pour Youssouf constitue le thème principal de l’histoire.
Différentes versions de l’histoire de Youssouf et Zoleikha ont été mis en vers. Elles adoptent généralement une forme littéraire particulière à la littérature persane et appelée mathnavi. Cette forme poétique consiste à enchaîner deux hémistiches à rimes parfaites, chaque hémistiche étant construit sur un même mètre (mètre = succession de syllabes courtes ou longues créant un rythme). Si la rime de chaque couple d’hémistiches change en permanence, le mètre et donc le rythme reste le même durant tout le récit, et celui-ci peut se déployer sur des milliers de vers (un vers = un couple d’hémistiches rimant ensemble).
La version en forme de mathnavi la plus célèbre fut composée dans la seconde moitié du XVe siècle par le poète soufi Nur al‑din Abd al‑rahman Djâmi, dont le nom est généralement abrégé en Djâmi, un adjectif tiré du nom du village dans lequel il passa son enfance (Djâm, dans le Khorassan iranien, non loin de la frontière avec l’Afghanistan). Son Youssouf et Zoleikha eut un succès immense dans toutes les régions du monde islamique où la langue persane était cultivée par les élites lettrées et les puissants (Iran, Asie centrale, Afghanistan, Sous-continent indien, Anatolie…). De nombreuses versions manuscrites (copiées à la main), plus ou moins luxueuses, enluminées ou non, accompagnées d’illustrations ou non, ont ainsi été réalisées, à partir de la fin du XVe siècle et jusqu’au XIXe siècle, à la veille de la disparition définitive de la tradition manuscrite au profit de la reproduction mécanique des textes (lithographie et impression à caractères mobiles).

L’école de peinture du Cachemire

L’ensemble de pages conservées aux Archives de Kaboul sont à rattacher à la région du Cachemire, une région dans laquelle, à partir du milieu du XVIIIe siècle, se développe une école d’enluminure et de peinture livresque au style original. Les textes enluminés ou illustrés dans ce style reflètent la diversité linguistique et religieuse locale : on y trouve des corans enluminés (au décor aniconique), des textes persans, plus rarement pashtos, illustrés ou simplement enluminés, mais aussi des textes religieux hindous et sikhs. L’éclosion de cette école du Cachemire est contemporaine de la montée en puissance, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, de la dynastie afghane des Durrani, qui unit sous sa férule l’Afghanistan et le Pakistan actuel, ainsi que la vallée du Cachemire et d’autres région de l’Inde occidentale. Mais cette école survit aussi à l’effacement progressif de la puissance Durrani dans le nord de l’Inde, qui contribue à l’émergence d’un état sikh au Pakistan et à celle d’autres états princiers, qui se rallient aux Anglais, tels l’état du Jammu et Cachemire.
Au XVIIIe siècle, et encore dans la première moitié du XIXe siècle, la langue persane, langue d’administration, est encore très présente dans le nord de l’Inde et cultivée chez les classes lettrées, musulmanes et non musulmanes. Parmi les textes persans célèbres illustrés par les peintres du Cachemire figure le Livre des rois (Shahnameh) de Firdawsi, le roman de Khosrow et Chirine, du poète persan Nezami, Le Verger (Bustan) de Sa’di, et bien entendu le Youssouf et Zoleikha de Djâmi. Des manuscrits à peintures rattachés à cette école du Cachemire se trouvent aujourd’hui conservées dans de nombreuses bibliothèques de par le monde, à la fois dans l’aire de diffusion initiale de ces manuscrits (Inde, Pakistan, Afghanistan et Asie centrale) mais aussi dans toutes les bibliothèques d’Europe et des Etats‑Unis possédant des fonds de manuscrits orientaux (ex : la Bibliothèque nationale de France, à Paris, la British Library à Londres, la New York Public Library, etc.). Dans ces bibliothèques, les exemplaires illustrés du Youssouf et Zoleikha de Djâmi sont nombreux.

Caractéristiques du style du Cachemire

L’école du Cachemire utilise une palette de couleurs vives et chaudes, usant d’un nombre restreint de couleurs, dans laquelle les jaunes et les rouges dominent. Les couleurs sont traitées en aplat ; les touches sont visibles. L’or des coiffes, des trônes, des dais princiers, des motifs des costumes, des tapis et des tentures, l’or des étoiles dans le ciel nocturne et l’or de l’auréole flammée qui distingue le prophète Youssouf, apportent un scintillement, tout comme les minuscules points blancs pour évoquer les perles ou les diamants des colliers, les jets d’eau des bassins. Les personnages ne sont pas individualisés mais correspondent à des types : Youssouf est l’archétype du jeune homme au visage androgyne et imberbe et aux boucles ondulées. Les autres personnages masculins, en fonction de leur âge, sont imberbes ou arborent une barbe noire ou blanche. Les types féminins sont également répétitifs ; la seule variante possible est la couleur de la peau, plus ou moins foncée. Aucune expression ne se lit sur les visages ; ce sont les attitudes et la gestuelle qui sont les supports de l’expression. Le traitement du paysage est très simple, organisé en registres superposés, ponctués de touffes d’herbes répétitives. La ligne d’horizon est rejetée vers le haut. La stylisation de certains éléments du paysage est très poussée, tels les arbres à l’horizon traités comme de simples formes triangulaires. Les éléments architecturaux (petits pavillons de marbre blanc, dais, terrasses, bassins) reflètent le style de l’architecture du nord de l’Inde.

Si vous voulez voir des photos d’architecture :

https://www.rct.uk/collection/search#/33/collection/2701778/hazuri-bagh-baradari-and-fort-lahore-huzoonie-bagh-and-fort-lahore
https://www.flickr.com/photos/zohaibusman/41433958970

La grande majorité des manuscrits attribués au Cachemire sont d’une facture plus simple et rapide que cet ensemble de pages, d’une qualité supérieure à la moyenne ; d’autres pages conservées aux Archives de Kaboul illustrent le style plus rapide et courant qui caractérise les manuscrits de cette école (IMG 1476, 1514, 1529 sont représentatifs) - Si vous voulez voir d’autres manuscrits de cette école et des copies de Youssouf et Zoleikha, vous pouvez voir des exemples ici :
https://digital.staatsbibliothek-berlin.de/werkansicht?PPN=PPN733856853&PHYSID=PHYS_0001&view=overview-tiles


Charlotte Maury
Chargée de collections Monde ottoman et art du livre
Département des arts de l'Islam
Musée du Louvre



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